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Le report de la CSRD : décryptage d'une décision européenne majeure

Le 3 avril 2025, le Parlement européen a approuvé à une écrasante majorité (531 voix contre 69) la directive « stop-the-clock ». Elle acte le report de deux textes fondamentaux : la directive sur le reporting de durabilité (CSRD) et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D). Cette décision s'inscrit dans une dynamique plus large de révision du Green Deal européen, initiée par la Commission à travers son projet de loi "omnibus".


Qu’est-ce que la CSRD ?

La CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive (ou en français, Directive sur les rapports de durabilité des entreprises), est une directive européenne publiée au Journal Officiel de l’Union européenne en 2022 et entrée en vigueur en 2024. Elle impose aux grandes entreprises de publier un rapport standardisé détaillant leurs actions en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Ce dispositif constitue ainsi un levier de RSE des organisations.

Contrairement aux systèmes de reporting précédents, la CSRD se distingue par son ambition d'harmoniser les pratiques à l'échelle européenne. Elle établit un cadre standardisé permettant aux investisseurs, consommateurs et autres parties prenantes d'évaluer et de comparer les performances des entreprises en matière de développement durable. Cette standardisation vise à lutter contre le greenwashing et à encourager une compétition saine basée sur des critères environnementaux et sociaux mesurables.

CSRD & calendrier modifié : quelles sont les nouvelles échéances ?

La décision du Parlement européen modifie le calendrier d'application de ces directives. Pour la CSRD, les entreprises qui devaient initialement se conformer aux nouvelles exigences de reporting à partir de 2026 bénéficient désormais d'un délai supplémentaire de deux ans. Ce n'est qu'en 2028 qu'elles seront tenues de publier leurs premiers rapports de durabilité conformément aux nouvelles normes.

Concernant la directive CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence), elle voit également son calendrier modifié. Cette législation, qui impose aux entreprises d'identifier et de prévenir les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l'environnement à travers l'ensemble de leur chaîne de valeur, bénéficie d'un report d'un an. Son entrée en vigueur, initialement prévue pour 2027, est désormais fixée à 2028. 

Le report a été validé par  le Conseil de l'UE le 14 avril 2025 afin que le texte puisse entrer en vigueur. 

Un vote consensuel ?

Le vote sur le report des directives a bénéficié d’une large coalition allant de certains Verts et socio-démocrates jusqu'à l'extrême droite, en passant par les libéraux et conservateurs. "C'est un signal fort, qui montre notre volonté de dégager une majorité chez les pro-européens autour d'un compromis nuancé" fait Pascal Canfin, eurodéputé français du groupe Renew.

Pourtant le texte a tout de même mis en lumière les fractures qui traversent le Parlement européen sur les questions environnementales et sociales. Si le parlement a voté le texte dans sa grande majorité, il est loin de faire l’unanimité.  « Pourquoi arrêter l’horloge quand les effets catastrophiques du changement climatique sont déjà à nos portes? En matière de publication d’informations liées à la durabilité et de devoir de diligence, il n’y a pas de temps à perdre, car il s’agit non seulement de protéger l’environnement, mais aussi de respecter les droits humains fondamentaux.» a déclaré la députée européenne verte luxembourgeoise, Tilly Metz.

De futures négociations pour faire évoluer le texte

Le vote du 3 avril ne constitue que la première étape d'un processus plus vaste. Une fois le report acté, les discussions vont maintenant porter sur le contenu même des directives.

Les propositions de modification avancées par la Commission européenne en février dernier suscitent de vives inquiétudes parmi les défenseurs de la transition écologique. Pour la CSRD, la Commission envisage une réduction significative du nombre d'indicateurs de durabilité à reporter et l'exemption de 80% des entreprises initialement concernées. Seules seraient contraintes de publier un rapport de durabilité les entreprises dépassant les seuils de 1 000 salariés, 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 25 millions d'euros de total de bilan.

Concernant la CS3D, la Commission européenne semble également détricoter le texte. Elle veut « simplifier les exigences en matière de devoir de vigilance afin que les entreprises concernées évitent les complexités et les coûts inutiles, par exemple en concentrant les exigences sur les partenaires commerciaux directs ». Si le texte évolue, les entreprises devront produire un rapport tous les 5 ans au lieu du rapport annuel prévu initialement.  

Des mesures qui inquiètent les associations de défense de l’environnement et les acteurs de l’économie sociale et solidaire. « Les recommandations actuelles de la Commission semblent traduire un premier recul de l’ambition européenne de créer une nouvelle compétitivité compatible avec notre modèle social et la préservation de nos ressources », a déploré Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France.

Un contexte politique favorable à l'allègement réglementaire

Difficile de prévoir exactement comment évoluera le texte. Néanmoins, les divisions observées lors de ce vote reflètent la nouvelle composition du Parlement européen issu des élections de 2024. Les Verts et les socio-démocrates, dont le poids politique s'est réduit, s'opposent à ce qu'ils considèrent comme une "dérégulation" écologique et sociale. Ils désirent préserver autant que possible l'ambition initiale du Green Deal européen.

À l'inverse, le Parti populaire européen (PPE), renforcé par les dernières élections, défend activement une "simplification" qu'il juge nécessaire pour la compétitivité des entreprises européennes. Disposant d’une majorité de sièges au sein du Parlement, il dispose d’un pouvoir considérable sur l'orientation finale des textes.

Plus à droite encore, les groupes d'extrême droite, dont la présence a significativement augmenté lors du dernier scrutin, poussent pour un démantèlement plus radical des régulations environnementales. Ils ont notamment déposé un amendement proposant un report des directives jusqu'à 2030, voire 2040, et une réduction drastique de 90% des obligations de reporting.

Dans cette configuration politique, il y a fort à parier que les futures négociations aboutiront à un allègement conséquent des contraintes réglementaires initialement prévues par les directives CSRD et CS3D.

Quid du projet de loi DDADUE ?

Côté français, le Parlement français s’est exprimé sur le projet de loi dit DDADUE le 3 avril dernier. Le texte prévoit, à l’instar des textes européens, un report d’application de la CSRD. Comme l’explique le site gouvernemental vie publique « Des précisions sont apportées sur les obligations en matière de publication d'informations de durabilité par les entreprises, encadrées par une directive de 2022 dite "CSRD". Les parlementaires ont repoussé de deux ans l'entrée en vigueur de ces exigences de reporting, en cohérence avec la proposition européenne en cours d'examen dite ‘stop the clock’. ». 

Pour l’instant, la version définitive du texte n’a pas été approuvée. Elle fait l’objet d’une saisine par le Conseil constitutionnel. Reste à savoir comment les Sages se saisiront du sujet !

Sources

 https://www.vie-publique.fr/loi/295987-projet-de-loi-ddadue-2025-diverses-dispositions-dadaptation-au-droit-ue

https://www.carenews.com/carenews-info/news/la-commission-europeenne-propose-d-affaiblir-l-ambition-de-deux-textes-pour-la

https://paperjam.lu/article/directive-csrd-et-csddd-reportees-les-entreprises-gagnent-deux-ans

https://www.novethic.fr/economie-et-social/transformation-de-leconomie/csrd-cs3d-report-stop-the-clock-valide-eurodeputes

 https://deklic.eco/csrd/

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