On croirait à un scénario futuriste. Même la science-fiction ne s’était pas autorisée une telle digression. Et pourtant, c’est peut-être l’avenir qui nous est réservé. Adieu veau, vache, cochon, poulet ! Dites bonjour à la viande in vitro. Dans l’assiette, elle ressemble en tous points à un steak, sans en être un. La viande in vitro ou viande cellulaire ne sort pas de chez le boucher de proximité. Fabriquée dans des laboratoires de la Silicon Valley, elle a l’immense avantage d’être plus écolo, et surtout, de sauver les animaux ! Alors, infos ou intox ? On ne nous fera pas avaler n’importe quoi… 😉
18 mars 2021
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Bien loin des verts pâturages, la viande in vitro pousse dans les discrets laboratoires de la Silicon Valley. Les prototypes sont encore à l’essai, mais cette viande ultra modifiée ne tardera pas à débarquer dans nos assiettes... Bon appétit !
Difficile de savoir précisément ce que contient le menu. La recette est tenue secrète. À ce stade d’élaboration, ce que l’on sait, c’est que tout commence par un prélèvement. Sous anesthésie on prélève des cellules souches du muscle d’un animal. « Pour l’instant, on utilise des cellules de fœtus de veau », explique à France Info Paul Ariès, expert en alimentation. Pour l’instant, il faut un donneur. Et le dindon de la farce, ici, c’est l’animal ! Mais plus pour longtemps nous dit-on. « L’objectif à moyen terme, c’est de remplacer ce sérum par un extrait de champignon, poursuit l’expert. Cette fausse viande cellulaire suppose donc un donneur de cellules, mais ensuite, un seul échantillon va permettre de produire jusqu’à 20 000 tonnes de viande ». Autrement dit, 150 vaches suffiraient à satisfaire la demande actuelle de viande…
Une fois le prélèvement réalisé, les cellules sont ensuite placées dans un environnement propice à leur développement. C’est dans cette « boîte de Petri » qu’elles vont se multiplier jusqu’à former un amas de fibres musculaires. Pour l’instant, la viande in vitro n’a de la viande que l’apparence. Un steak alléchant qui n’en a pas encore le goût. Pas de quoi séduire les viandards pour le moment donc… Et quand bien même vous auriez souhaité la goûter, la viande in vitro n’est pas encore à point. Dégusté pour la première fois par un chercheur en 2013, le « frankenburger », ayant coûté la modique somme de 250 000 euros, lui aurait laissé un goût amer. Renvoyée en cuisine laborantine, la viande in vitro n’est donc pas encore prête à envahir les rayons des supermarchés.
Mais qui se cache derrière cet amas de tissus musculaire ? Ce n’est pas anodin si le vrai faux-steak se prépare dans les cuisines de la Silicon Valley. C’est le nouvel Eldorado des startups de la Foodtech ! Parmi elles, on compte « Memphis Meats », financée par les milliardaires Richard Branson et Bill Gates, mais aussi Just, Mosa Meat, ou encore des startups israéliennes, japonaises, mais aussi françaises avec la société Gourmey qui planche sur un foie gras de synthèse. Premier steak cellulaire en 2013, premières boulettes de viande in vitro en 2016, premiers blancs de poulet synthétiques autorisés à la vente en 2020… Ça se bouscule en cuisine ! Et pour cause, ces startups ne se disputent pas un vulgaire bout de gras, c’est du marché mondial de la viande animale qu’il s’agit ! Un business qui s’annonce juteux puisque, de KFC à McDonald’s, les premiers distributeurs de la viande in vitro, sont déjà en file d’attente…
C’est l’argument choc des défenseurs de la viande de synthèse. La viande in vitro pulvérise le scandale des abattoirs. Ce processus de fabrication artificielle permet d’éviter d’élever des animaux, pour les abattre et consommer leur viande… L’argument imparable ne tardera pas à convaincre les consommateurs de se convertir à la viande de synthèse. Quitte à les dégoûter de consommer la viande traditionnelle… C’est d’ailleurs la stratégie adoptée par l’Open Philantropy Project : révolutionner la façon de nourrir le monde. Une fondation qui investit dans la santé, la recherche et le bien-être animal. C’est donc sans surprise qu’elle finance un certain nombre de ces startups qui planchent sur la viande in vitro. Autre détail croustillant, en parallèle, depuis trois ans, l’Open Phiantropy Project a versé plus de 125 millions de dollars à diverses associations de défense animale dont la célèbre L214 qui dénonce sans détour la souffrance animale dans les abattoirs. Une attitude qui participe subtilement à placer les consommateurs devant une alternative : viande traditionnelle industrielle vs. viande de culture cellulaire.
À ce stade, on le comprend, nous sommes placés devant un choix, ou plutôt entre deux morceaux de viandes. L’une, issue des pâturages (ou plutôt d’élevages intensifs) qui se revendique plus authentique. L’autre, issue des laboratoires qui prétend épargner les animaux… Alors l’aile ou la cuisse ? Pour trancher le débat, prenons un peu de recul. Que penserait la planète de tout cela ?
Derrière la viande traditionnelle, et même derrière la vache, le problème se résume à une histoire de gaz : le méthane. Selon un rapport de la FAO, l’élevage de viande animale génère en effet 18% des gaz à effet de serre au niveau mondial. Principalement du méthane (CH4), qui résulte de la rumination des bovins et de leurs déjections. C’est ainsi qu’une étude de l’Université d’Oxford a calculé en 2011 que la production de viande in vitro permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 96% par rapport à la viande conventionnelle, la viande 3.0 nécessitant 45% d’énergie en moins pour sa production et économiserait jusqu’à 96% d’eau… Pas de vache, pas de gaz méthane, pas de dégât environnemental donc ? Hop, hop, hop ! Tout n’est pas si vert, il y a probablement quelque chose qui cloche…
Si la viande synthétique pousse loin des verts pâturages, c’est donc qu’elle n’est pas si verte. Les mots « artificielle » et « synthétique » devraient d’ailleurs nous mettre la puce à l’oreille. Il n’y a là rien de très naturel… C’est ainsi qu’une nouvelle étude de la même prestigieuse Université d’Oxford, publiée dans la revue Frontiers in Sustainable Food Systems, a renversé la balance. Selon les calculs de ces chercheurs, la viande in vitro ne serait pas si vertueuse qu’on cherche à nous le faire avaler. L’erreur, relève l’étude, serait de mettre tous les gaz à effet de serre sur un pied d’égalité. Certes, le méthane (gaz résultant de l’agriculture traditionnelle) est, par tonne, un gaz à effet de serre bien plus polluant que le dioxyde de carbone (utilisé pour la production de viande in vitro). À court terme, la viande in vitro serait donc moins polluante. Néanmoins, c’est sans compter ses effets à long terme, puisque, comme le conclut l’étude « le méthane ne reste dans l’atmosphère que pendant douze ans environ, alors que le dioxyde de carbone s’accumule pendant des millénaires ». Dans 450 ans, un élevage intensif traditionnel serait donc moins polluant que la production de viande in vitro. Voilà une étude qui ne mâche pas ses mots…
Alors si on fait l’addition ? Viande traditionnelle vs. viande in vitro ? À ce jour, il n’existe pas de véritable consensus scientifique. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne nous fera pas avaler n’importe quoi…
Que faire ? Tout miser sur la viande in vitro, en espérant qu’elle soit plus verte que celle issue des animaux ? Ou, au contraire, chercher des alternatives ? Et si l’herbe était plus verte ailleurs ? Et si la solution ne se trouvait ni sous le sabot d’une vache, ni dans l’éprouvette d’un laboratoire ? C’est la petite graine qui germe dans de nombreuses têtes…
Sustenter la population mondiale, tout en offrant un avenir meilleur à la planète et aux bestiaux… Le défi est grand ! Pour y répondre, chercheurs, entrepreneurs et industriels se creusent les méninges. L’objectif ? Trouver des substituts à la viande animale. Il y a donc la solution de la viande in vitro. Une option qui, on l’a vu, n’est pas encore tout à fait au point. D’autres alternatives sont à l’étude. Nous avons bien sûr entendu parler de la viande végétale et du tofu, une alimentation déjà adoptée par un certain nombre. Toutefois, allons-nous exclusivement nous nourrir de cela ? Par quoi encore peut-on remplacer la viande ? Algues, insectes, protéines de pois, aucune piste n’est écartée ! Et, déjà de nombreux acteurs se bousculent sur le marché. C’est le cas de la start-up française Ynsect, pionnière sur l’élevage d’insectes ! On vous prévient, mieux vaut avoir l’estomac bien accroché, car qu’on le veuille ou non, la « Novel food » débarque dans nos assiettes…
Reste une question en suspens : à quel point veut-on remplacer la viande ? En agissant ainsi, ne risque-t-on pas de ne pas moins polluer, voire, au contraire, de polluer différemment ? Les ingrédients ultra-transformés qui composent la viande in vitro ne sont-ils pas un peu éloignés de la tendance actuelle du retour au naturel ? Et cette course folle aux substituts de la viande n’est-elle pas un nouveau moyen de nous faire encore consommer ? Il existe, semble-t-il, une troisième voie ! Un chemin alternatif au choix binaire que l’on nous présente : élevage industriel et intensif vs. viande in vitro. C’est l’agriculture paysanne ! Une agriculture respectueuse de la terre et des animaux. Une piste que les milliardaires industriels n’ont visiblement pas intérêt à creuser…
Alors, verdict ? Viande in vitro vs. viande animale venant d’élevage ? Quelle que soit l’issue de ce débat, demandez-vous qui sera le grand gagnant. Vous, le consommateur ? Les industriels qui se partagent un marché alimentaire juteux ? Ou la planète et les animaux qui la foulent ? Pour cette dernière, on a peut-être une solution 100% fiable et résolument écologique… l’énergie verte, vous y avez pensé ?