Avec des enjeux très contradictoires entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables, difficile pour les banques françaises d’assurer une communication cohérente par rapport à leurs politiques transitionnelles en la matière. Par exemple, selon oxfam France, le négoce international de pétrole (Brent et WTI), a généré en 2019 près de 2 milliards d’euros de revenus pour celles-ci. Cependant, de l’autre côté, elles dévoilent également leurs engagements visant à financer les nouvelles formes d’énergies. Détective Banque, expert de la banque en ligne, nous aide à faire un état des lieux sur la transition énergétique au cœur des grandes banques françaises.
20 juillet 2020
Lecture 5 mn
Selon le dernier rapport de l’ONG Oxfam France, les établissements français n’auraient pas encore totalement pris le virage des énergies renouvelables : seulement 20% des financements accordés à des projets énergétiques iraient à des sources d’énergie renouvelable. Un premier pas vers la transition énergétique à encourager.
Il y a trois raisons à cela.
Première raison : le risque climatique est devenu un risque financier pour les majors des énergies fossiles. Le secteur du charbon, par exemple, décline depuis les années 1970 en raison d’un coût d’exploitation devenu plus élevé que le prix de vente. Aujourd’hui, la solvabilité des projets d’exploitation et des entreprises exploitant les centrales à charbon est menacée, rendant leurs capacités de remboursement trop incertaines. 4 pays du G7 ont déjà annoncé la fermeture de toutes leurs centrales au charbon d'ici 2030 : le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie et… la France. Des groupes comme le Crédit Agricole ont emboité le pas à ce changement en annonçant leur plan de « sortie de charbon » (rendu public le 6 juin 2019) en référence au désengagement financier du secteur.
Deuxième raison : les organes de supervision bancaire ont changé les règles notamment via les fameux stress tests climatiques imposés en 2020. De quoi s’agit-il ? La Banque de France par l’intermédiaire de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) a imposé aux banques françaises des tests de résistance pour évaluer si elles disposaient de fonds propres suffisants pour faire face à des scenarii de crise autour de leurs projets « carbonés » exposés aux risques climatiques. Le rapport conjoint de l’ACPR, de la Banque de France et de la Direction du Trésor (datant d’octobre 2019) avait mis en évidence deux catégories de risques climatiques : les risques physiques et les risques de transition. Les risques physiques correspondent à des évènements climatiques qui affectent « physiquement » les ménages et entreprises auxquels les banques prêtent de l’argent. Les risques de transition, plus abstraits, sont liés aux changements économiques et technologiques nécessaires pour réaliser la transition énergétique et qui ont un impact sur l’actif des banques françaises. L’ACPR avait estimé qu’en 2018, 12,20% des encours concernaient les secteurs les plus polluants.
Troisième raison : la demande en énergies renouvelables ne cesse de croître. Entre la Convention Citoyenne pour le Climat (Liens vers CCPC) et les demandes de diminution des gaz à effet de serre, les énergies renouvelables sont un secteur prometteur. Cette tendance n’a pas échappé aux groupes bancaires français, pionniers de la finance verte en Europe. En un sens, la part croissante de l’énergie verte dans le mix énergétique implique la diminution progressive des besoins en énergies fossiles.
Selon Moody’s, les émissions des obligations de la finance verte (les green bonds ou obligations durables) ont dépassé les 200 milliards de dollars fin 2019. Les groupes bancaires français ont visiblement changé leur fusil d’épaule dans la lutte contre le réchauffement climatique, par éco-responsabilité certes, mais aussi par appétit financier, et sous la pression du changement des règles prudentielles en faveur de la réglementation environnementale.
Pionnière dans l’Hexagone, le Crédit Agricole a annoncé son désengagement progressif du secteur charbonnier. Concrètement, elle s’engage à ce que son investissement dans ce secteur soit réduit à 0 d’ici 2030, en France et dans les autres pays de l’Union européenne. Pour atteindre cet objectif, la banque s’est fixé trois axes de travail :
Publiés sous le document Stratégie Climat, ces engagements du Crédit Agricole ont été plutôt bien accueillis par les associations et ONG de défense de l’environnement. Le collectif Amis de la Terre France et l’association Oxfam France ont même publié un communiqué conjoint dans lequel ils félicitent le Crédit Agricole d’avoir ouvert la voie avec ses « (…) engagements qui marquent une tolérance zéro vis-à-vis de l’expansion (…) du secteur charbonnier… ». À voir si le groupe réitérera des engagements similaires sur les secteurs les plus décriés par ces associations, ceux du pétrole et du gaz.
Chez d’autres établissements français, le discours se veut plus mesuré. Ils relativisent, en avançant par exemple qu’accorder un prêt à une entreprise à forte empreinte carbone n'est pas nécessairement négatif pour le climat si ce financement sert à des investissements de transition écologique. C’est le cas de la Société Générale, qui s’est engagée à lever 120 milliards d’euros sur la période 2019-2023 en faveur des énergies renouvelables soit 100 milliards d’euros sous la forme d’émissions ou de cautionnements de green bonds, auxquels s’ajouteront 20 milliards d’euros en financement direct (crédits, crédits participatifs) et en prestations de conseil.
Dans le cadre de ce plan, la Société Générale annonçait fin 2019 avoir conclu un partenariat avec la BEI (Banque Européenne d’Investissement) pour financer à hauteur de 240 millions € des projets solaires ou éoliens dans l’Hexagone. Pour le moment, seuls 2 projets éoliens dans le département du Cher ont été sélectionnés pour une capacité combinée de 19 MW. Ils sont portés par Valorem, PME française de production d’énergie renouvelable. Ce n’est évidemment pas le seul projet vert en portefeuille, et on pourrait par exemple y ajouter le financement d’une série d’usines de traitement de déchets en France et dans d’autres pays. En septembre 2019, la banque avait financé, pour 82 millions d’euros, une telle usine dans l’Aube capable de produire un ratio de 41 000 MWh d’électricité pour 60 000 tonnes de déchets traités.
Et puis, il y a les établissements plus souvent critiqués par les associations et qui peinent à financer des projets plus « propres ». Néanmoins, certains groupes ont annoncé cesser de financer des entreprises aux activités polluantes liées aux hydrocarbures non conventionnels. En s’attardant un peu sur le contenu de l’engagement, on constate deux volets :
Ces secteurs (notamment sable bitumineux et pétrole de schiste étant tous deux des hydrocarbures non conventionnels) ne sont plus aussi rémunérateurs pour les banques depuis longtemps, en raison des contraintes réglementaires dans les zones d’exploitation. Il est donc plus facile pour ces groupes encore timides de se détacher de ces derniers.
Par ailleurs, certains groupes ont annoncé vouloir déployer 3 milliards d’euros supplémentaires dans les énergies renouvelables dans les années à venir. On espère pouvoir rapidement voir les fruits de ces investissements ! 😊
Vous en savez maintenant un peu plus sur les investissements des banques dans les énergies renouvelables. Des positions qui montrent bien qu’il reste du chemin à parcourir pour que le secteur bancaire français soit un acteur majeur de la finance verte. Néanmoins, les banques françaises ne sont pas les plus mal classées si l’on en croit le rapport Banking on Climate Change 2020, les groupes bancaires nord-américains tiennent toujours le haut de ce classement.