Logo Ekwateur

Comté et écologie : quel impact environnemental ?

Ah, le comté… Ce roi des plateaux de fromages, fierté franc-comtoise, compagnon fidèle des apéros et des raclettes. Vieilli en cave, affiné avec amour, il sent bon la tradition et les montagnes du Jura. Mais derrière sa croûte dorée se cachent aujourd’hui quelques remous. Car ce fromage AOP, aussi savoureux soit-il, est désormais dans le viseur de certains défenseurs de l'environnement. Entre pression sur les pâturages, intensification de l’élevage et atteintes à la biodiversité, le comté doit-il revoir sa copie ? On fait le point. 🧀

En résumé


Une polémique nationale

En avril 2025, Pierre Rigaux, naturaliste et militant écologiste, a suscité une vive controverse en affirmant sur France Inter que le comté était « mauvais pour la planète et terrible pour les animaux ». En quelques heures, ce sont tous les réseaux sociaux du pays qui se sont affolés devant cette affirmation. Le hashtag #TouchePasAuComté était en tendance sur X, illustrant la tension entre traditions gastronomiques et préoccupations environnementales.

Il faut dire que le comté est le fromage AOP le plus consommé en France¹ avec pas moins de 70 309 tonnes en 2023. Sachant que pour faire une meule, de 40 kg², il faut 400 litres de lait, cela représente 704 millions de litres de lait.

Tout le monde s’est donc senti visé (j’ai croisé le regard de mon comté dans le frigo 👀), et a répondu selon son opinion.

Le comté est un fromage AOP

Le comté est un fromage à Appellation d'Origine Contrôlée. C’est donc un monument du terroir culinaire français.
🐮 Il est principalement produit dans le Jura, le Doubs et l’Ain avec des vaches de race Montbéliarde (parfois Simmental), dont le lait est transformé dans des filières locales.

Le cahier des charges du Comté, c’est un peu la charte qualité version XXL. Validé par l’État et l’Europe, il encadre toute la filière de A à Z : de la vache au fromage affiné.

🥛 il impose³ :

  • 🌿 Des règles environnementales bien cadrées (ex : pas plus de 1,2 million de litres de lait par ferme, bien-être animal pris en compte).
  • 🧾 Une traçabilité béton grâce à la fameuse plaque verte en caséine sur chaque meule.
  • 🐄 Une limite à la taille des exploitations pour garder le goût du vrai et de l’artisanal.
  • 👀 Des contrôles réguliers à trois étages : auto-contrôle, inspection interne, puis vérif' externe par un organisme agréé.

Toutefois, derrière cette rigueur affichée, une question persiste : quel est le véritable impact environnemental de la filière ?

À lire aussi

🥗 Pour manger équilibré sans alourdir la planète, découvrez nos recettes végétariennes dignes de Top Chef !

L’impact environnemental du comté : état des lieux

Certaines études scientifiques récentes ont mis en lumière l’impact environnemental de la production de Comté sur les écosystèmes locaux, notamment dans les zones où cette activité est concentrée.

Les rivières : des écosystèmes en première ligne

Dans le Jura, certaines rivières emblématiques situées en zone de production du Comté vont mal. Une étude de 2020⁴ a tiré la sonnette d’alarme : plusieurs d’entre elles sont en mauvais état écologique, notamment à cause des pratiques agricoles intensives liées à l’élevage laitier.
Épandage de lisier, prairies épuisées, troupeaux concentrés… tout cela surcharge les sols. Résultat : azote, phosphore, algues, baisse de l’oxygène, et une biodiversité qui trinque.

🐟 la rivière Loue a perdu entre 50 % et 80 % de ses poissons en 40 ans, en partie à cause de l’intensification de l’élevage et de l’utilisation des engrais.

Les rivières karstiques, des éponges sensibles

Le rapport du BRGM "NUTRI-Karst"⁵ (2022) va plus loin. Il montre que les rivières dites karstiques (très poreuses, sur des sols calcaires) typiquement présentes dans le Jura sont particulièrement vulnérables aux pollutions.
💧 L’eau s’infiltre vite vers les nappes souterraines, emportant avec elle nitrates et phosphates issus de l’agriculture, même quand celle-ci se veut "raisonnée".

📉 Le rapport parle d’un "paradoxe jurassien" : une agriculture devenue un peu plus vertueuse ces dernières années sur le papier, mais qui continue d’abîmer les milieux naturels à cause de la fragilité du sol.

Il appelle à renforcer la protection des milieux aquatiques et à repenser les pratiques agricoles pour préserver l’eau… et les fromages qui en dépendent.

Une empreinte carbone pas négligeable

Selon l’Ademe, le comté produit en moyenne 6,28 kg de CO₂e par kg.

A titre de comparaison, le poulet possède une empreinte carbone moindre au kg ! 
En prenant en compte les chiffres de la production de comté en 2023 (70 309 tonnes), on peut calculer l'empreinte carbone de cette industrie cette année-là !


70 309 tonnes = 70 309 000 kg
1 kg = 6,28 kg de CO₂e


En 2023, la production et la consommation du comté auront donc pesé : 441 538 tonnes de CO₂e.

La transformation des paysages

Au cours des dernières décennies, l’intensification agricole a changé le visage des campagnes jurassiennes. Pour répondre à la demande croissante en lait, certaines exploitations n’ont pas fait dans la dentelle : haies arrachées, bosquets disparus, pâturages nivelés à la machine… Bienvenue dans le règne du « casse-cailloux »⁶.

🛠️ Ce monstre de métal broie les pierres, aplatit les reliefs, et transforme les prairies naturelles en terrains uniformes, prêts à produire, mais à quel prix ? En supprimant les micro-habitats, c’est tout un écosystème qui s’appauvrit.

🌳 Et que dire des haies ? Jadis refuges pour les oiseaux, les insectes, les petits mammifères, elles sont aujourd’hui les grandes oubliées. Leur disparition fragmente les milieux, favorise l’érosion des sols, et fait chuter la biodiversité⁷.

Toutes ces pratiques ont pour conséquence un aplanissement des sols (le plat-pays, c’est en Belgique normalement et c’est naturel là-bas !), avec des paysages plus lisses, mais bien moins vivants.

En Franche-Comté, plus d’une prairie mésophile sur deux est aujourd’hui dégradée par des pratiques agricoles inadaptées⁸. Parmi les principaux coupables : le recours massif aux « casse-cailloux », ces engins apparus à la fin des années 1990, qui broient les sols pour les aplanir. Leur usage s’intensifie dans les prairies et pâturages du massif jurassien.

Les prairies humides, elles aussi, sont en danger : les modifications du régime hydrique (drainage, assèchement ou dérèglement des eaux) fragilisent ces milieux déjà sensibles.

Et maintenant, on fait quoi ?

Quand on pointe du doigt les impacts du Comté, les avis sont partagés.

🧀 Côté filière, on rappelle fièrement que le cahier des charges AOP interdit l’ensilage, mise sur l’herbe locale et encadre toute la chaîne de production. Et c’est vrai : peu d’AOP vont aussi loin dans les règles.

🌍 Côté environnement, des voix s’élèvent pour saluer ces efforts… tout en soulignant qu’ils ne suffisent pas à protéger des milieux aussi fragiles que les rivières karstiques. Les ONG appellent donc à aller encore plus loin : adapter les pratiques, mieux réguler les volumes, repenser l’équilibre entre production et écosystèmes.

Le Comté coche déjà pas mal de cases. Pour que l’amour du terroir rime aussi avec respect du vivant, il faut continuer à faire évoluer les habitudes, au rythme de la nature.

Des initiatives pour réparer

Face aux impacts de l’intensification agricole, des projets ambitieux ont vu le jour pour restaurer les écosystèmes fragiles du Jura.

🪻Le programme européen LIFE Tourbières du Jura9 (2014-2021) a permis de réhabiliter 55 tourbières sur 408 hectares, de neutraliser 26 km de fossés et de reméandrer 15 km de cours d’eau. Ces actions ont restauré des milieux essentiels, boosté la biodiversité et renforcé la capacité de stockage naturel de carbone des zones humides.

🌍 Un second volet, LIFE Climat Tourbières (2022-2029), s’attaque à 70 nouveaux sites dégradés⁹, avec un double objectif : réduire les émissions de gaz à effet de serre et préparer ces écosystèmes au changement climatique. Rappelons que les tourbières, bien qu’elles couvrent seulement 3 % des terres, stockent à elles seules 30 % du carbone des sols mondiaux !

🌲 Dans les forêts aussi, on agit¹⁰ : depuis 2015, l’ONF restaure près de 45 km de ruisseaux en forêt de Chaux, avec l’objectif de favoriser la biodiversité aquatique et la rétention d’eau, précieuse dans un contexte de stress hydrique croissant.

Consommer plus éthique, c’est aussi regarder ce qu’il y a derrière nos fromages préférés. Le Comté reste un fleuron du patrimoine français, mais même les emblèmes doivent parfois se remettre en question. Pour savourer sans nuire, il faut soutenir les démarches qui allient à la fois goût, terroir… et avenir. 🌞

Sources
  1. https://www.leguidedufromage.com/ventes-fromages-aop-et-igp-zo194.html 
  2. https://www.produits-laitiers.com/combien-faut-il-de-litres-de-lait-pour-fabriquer-un-fromage/ 
  3. https://www.comte.com/un-cahier-des-charges-exigeant/ 
  4. https://hal.science/hal-04764319/document
  5. https://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-72229-FR.pdf
  6. https://www.echosciences-bfc.fr/communautes/biodiversite-en-bourgogne-franche-comte/articles/le-casse-cailloux-un-engin-qui-laisse-des-traces-dans-le-jura 
  7. https://www.centre-est.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-casse-cailloux-usage-et-consequences-sur-lenvironnement
  8. https://professionnels.ofb.fr/fr/node/1427
  9. https://doubs-eau.fr/milieux-aquatiques/zones-humides-et-eaux-souterraines/3-zones-humides-gestion-et-restauration/les-programmes-life-tourbieres-et-life-climat/ 
  10. https://www.onf.fr/+/39a::restauration-de-cours-deau-en-milieu-forestier.html 

Nos derniers articles de la catégorie

Voir plus d'articles