La Commission européenne a envoyé aux experts des États membres dans la nuit du 31 décembre 2021 un texte proposant, entre autres, d’intégrer le nucléaire et le gaz dans le texte de taxonomie verte, ce qui permettrait de faciliter leur financement et donc, leur développement.
Un mois plus tard, le 2 février 2022, le texte est approuvé par la Commission européenne. Cette décision vient encore diviser les pays de l’Union dans un contexte de crise de l’énergie.
7 février 2022
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Pour comprendre d’où vient cette décision, il faut s’intéresser au sujet de la taxonomie verte (ou taxinomie verte). Vous vous souvenez sûrement du fameux green deal européen ou du Pacte Vert, cette feuille de route présentée en 2019 ayant pour but une économie européenne durable. C’est de là que tout a commencé. En effet, pour atteindre cette économie durable, il apparaissait nécessaire d’avoir des investissements durables.
Et c’est ainsi qu’a été imaginée la taxonomie verte. Sous ce drôle de nom se cache un système qui classifie dans une liste les différentes activités économiques en fonction de leur impact environnemental. C’est le TEG, le Technical Expert Group, un groupe d’experts, qui a été chargé de fixer les critères de classification.
La création de cette green list doit permettre de « diriger les capitaux vers des activités durables », autrement dit d’encourager les investissements durables plutôt que des investissements vers des activités polluantes et d’éviter au maximum le greenwashing.
La taxonomie verte classe une activité comme durable si elle valide au moins l’un des objectifs suivants :
L’activité en question ne doit pas non plus causer de préjudice important aux autres points mentionnés, c’est le principe du « do not significant harm ».
Le texte concernant la taxonomie verte a été publié au Journal Officiel de l’UE dès juin 2020 (et est entré en vigueur en juillet de la même année). Il a pour but, en plus d’atteindre les objectifs du Pacte vert, de définir clairement ce qui est « durable » et ce qui ne l’est pas.
L’Union européenne définit la taxonomie comme un outil de transparence basé sur un système de classification qui traduit les objectifs climatiques et environnementaux de l’Union en critères pour des activités économiques spécifiques à des fins d’investissement privé. Rien que ça.
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En ce qui concerne le classement du nucléaire dans cette taxonomie, la Commission européenne parle de « compromis délicat », c’est pour cette raison qu’une décision n’a pas pu être prise au moment de la publication du texte de taxonomie verte en 2020 ni au moment du premier acte délégué adopté en juin 2021 et qu’il fait aujourd’hui l’objet d’un acte délégué complémentaire.
En mars 2020, le TEG a recommandé d’exclure le nucléaire de la taxonomie verte car « les faits concernant l’énergie nucléaire étaient complexes et plus difficiles à évaluer dans le cadre de la taxonomie », c’est-à-dire que le TEG a estimé qu’il était complexe d’affirmer que le nucléaire n’avait pas d’impact sur les autres objectifs environnementaux de la taxonomie. Rappelez-vous, pour être considérée comme durable, une activité doit, en plus de valider au moins l’un des six objectifs mentionnés plus haut, ne pas causer de préjudice important aux autres.
La Commission avait donc jugé que les conclusions du TEG ne permettaient pas de classer le nucléaire dans la catégorie do not significant harm. Dans un premier temps, le nucléaire était donc exclu de la taxonomie verte.
La Commission européenne a ensuite demandé au CCR, le Centre Commun de Recherche (le service scientifique interne de la Commission) de réaliser un rapport sur le même sujet, publié en mars 2021. Point par point, le rapport de 387 pages examine chacun des six objectifs et détermine si le nucléaire y porte préjudice ou non.
Il précise que :
Selon le CCR, le nucléaire participe à l’atténuation du changement climatique ne porte pas préjudice aux autres objectifs de la taxonomie, il remplit ainsi les critères pour être inclus dans la taxonomie verte.
Le rapport a ensuite été examinée par deux groupes d’experts indépendants :
C’est ainsi que la Commission européenne est arrivée à la conclusion que le nucléaire contribuait à la transition vers une neutralité climatique et qu’il remplissait les exigences environnementales et de sécurité.
Le sujet du gaz naturel a également été abordé. Selon la Commission, il contribue à la transition du charbon vers les énergies renouvelables, il fait donc également partie du texte de taxonomie en tant qu’énergie de transition.
L’acte complémentaire impose également aux grandes entreprises de publier en toute transparence la proportion de leurs activités liées aux énergies gazières et nucléaires pour que les investisseurs puissent faire leurs choix en connaissance de cause.
Pour être considérées comme durables, le texte indique que les nouvelles centrales nucléaires devront avoir obtenu un permis de construire avant 2045. Pour les centrales déjà existantes dont la prolongation de durée de vie est envisagée, les travaux devront avoir été accordés avant 2040.
La Commission demande également des garanties quant au traitement des déchets nucléaires et du démantèlement des installations.
Les nouvelles centrales à gaz ayant obtenu un permis délivré avant 2030 et qui remplaceront des infrastructures plus polluantes pourront émettre jusqu’à 270g de CO₂ par kWh. Elles devront fonctionner avec de l’hydrogène ou du gaz renouvelable à partir de 2035.
Pour les autres centrales à gaz, le plafond a été fixé à 100g d’émissions de CO₂ par kWh.
Le gaz a été qualifié d’énergie de transition.
L’opinion des États membres est divisée sur le sujet, c’est le moins qu’on puisse dire. La nouvelle va dans le sens de la France qui souhaite renouveler son parc nucléaire. Même chose pour les pays de l’Europe de l’Est tels que la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque qui comptent sur le gaz pour fermer leurs centrales à charbon, très polluantes.
L’Allemagne, le Luxembourg, l’Espagne, le Portugal et l’Autriche sont, au contraire, contre le texte. La ministre autrichienne de l’environnement Leonore Gewessler a qualifié le nucléaire d’énergie du passé. L’Allemagne ne se réjouit pas non plus de ce texte qui ne s’aligne pas à sa stratégie de sortie du nucléaire en 2023. Sa ministre de l’Environnement Steffi Lemke indique que l’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie verte est une erreur.
Le texte final a été publié le 2 février 2022. Le Parlement européen a désormais quatre mois pour exprimer un rejet (grâce à un vote à majorité simple). Même chose pour le Conseil qui, de son côté, peut rejeter le texte s’il réunit au moins 20 États membres.
Sans rejet du Parlement et du Conseil, le texte sera définitivement adopté. L’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont déjà contesté cette décision dans une lettre commune. Le gouvernement autrichien a quant à lui annoncé vouloir engager une action en justice si le texte est effectivement adopté.
Pour conclure en quelques mots, la Commission européenne a imaginé le texte de la taxonomie verte pour encourager les investissements vers des activités durables afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La question de l’intégration du nucléaire et du gaz naturel à la taxonomie a longtemps été repoussée à cause de nombreuses divergences sur le sujet. Il a finalement été décidé qu’ils seraient bel et bien intégrés à la taxonomie verte, sous conditions.