Depuis plus d’un siècle, les scientifiques sont à la recherche d’un matériau abordable qui pourrait conduire l'électricité sans perte. C’est ce qu’on appelle la supraconduction. Les applications de ce phénomène physique sont déjà nombreuses, mais elles restent limitées par la difficulté à produire ces matériaux supraconducteurs. Or, depuis quelques semaines, le LK-99, un supraconducteur, fait beaucoup parler de lui pour de multiples raisons.
Enfilons notre blouse blanche pour entrer dans le labo Ekwateur afin de comprendre ce qu'apporte ce matériau et ce qu’il pourrait changer si les études publiées par les deux scientifiques coréens sont confirmées par d’autres experts. 🧑🔬
10 août 2023
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La supraconduction est un état de la matière qui supprime la résistance électrique. Dans un fil électrique par exemple, une partie de l'électricité se perd par l’effet Joule, qui transforme cette électricité en chaleur. Plus un matériau devient chaud en transportant de l'électricité, plus il perd de cette électricité qui est transformée sous l’autre forme d'énergie qu’est la chaleur. Un matériau supraconducteur, lui, ne chauffe pas en laissant passer un courant électrique et ne gaspille donc aucune énergie. Une telle économie serait un immense espoir dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Plus encore, l'effet Meissner, qui représente l’exclusion des champs magnétiques d’un matériau supraconducteur, est utile pour l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou pour faire léviter des objets par exemple.
Les supraconducteurs existent depuis longtemps puisque ce phénomène a été découvert en 1911 ! Pour autant, ce sont les conditions où un matériau devient supraconducteur qui sont aujourd'hui la principale difficulté. En effet, avec la découverte de Heike Kamerlingh Onnes il y a plus de cent ans, on sait que certains métaux et alliages deviennent supraconducteurs lorsqu'ils atteignent le zéro absolu (0 kelvin soit -273,15 °C, eh oui, ça caille 🥶).
Toute la difficulté est donc de garder cette température de manière constante et on imagine bien la quantité d'énergie que cela peut demander. C'est pour cette raison que les matériaux supraconducteurs ne sont pas utilisés dans la vie de tous les jours. Garder son téléphone portable dans un congélateur à -273,15°C pour ne pas avoir de perte d'énergie à cause de l’effet Joule ne semble alors pas très rentable en termes énergétiques justement.
Et c’est là qu’entre en scène la star du jour ! Le LK-99, qui est le nom commercial de ce matériau, est en effet un supraconducteur qui peut garder cet état à température et pression ambiantes ! Fini les efforts inhumains pour tenter de créer des matériaux supraconducteurs. Avec le LK-99, de l'apatite boostée au cuivre, l'électricité ne se perd plus en chaleur, et ce, sans condition particulière requise.
Cela change tout et ouvre la voie à de nouvelles technologies ou à un changement de paradigme dans la construction et l’organisation des réseaux électriques ! Enfin, ça, c’est ce que les auteurs de ces articles affirment, sur un ton plus publicitaire que scientifique, et c’est un des nombreux problèmes que la sphère scientifique reproche à cette nouvelle étude et à ce matériau.
Soyons clairs, c’est bien la perspective de batterie durant des heures, de trains pouvant léviter, ou encore d’une économie immense d'énergie grâce à la fin des pertes qui a provoqué un emballement pour ce matériau. Or, certains scientifiques restent perplexes pour de multiples raisons.
On le sait, les études scientifiques paraissent dans des revues qui leur donnent du crédit. Pourtant, les deux scientifiques coréens à la source de la découverte du LK-99 ont préféré ArXiv, une plateforme qui permet de publier des articles scientifiques directement, sans vérification d’un tiers.
Sans comité de lecture, l’annonce des scientifiques n'est pas considérée comme vraie, d’autant plus que l’apatite ne faisait pas du tout partie des matériaux supraconducteurs.
Il faut donc attendre que d'autres experts puissent reproduire le phénomène. La bonne nouvelle, c’est que l’expérience est assez “facile” à refaire, et donc, plusieurs équipes de scientifiques s’y sont déjà attelées. Si deux d'entre elles infirment les résultats, une équipe de recherche chinoise prétend avoir répliqué l’expérience, sans aucune preuve tangible pour le moment.
Selon plusieurs scientifiques, l’article publié est assez promotionnel, tentant déjà de capitaliser sur un matériau qui pourrait changer la donne. LK-99 est par exemple le nom commercial donné à ce matériau, étape qui est en général décidée après la confirmation et la mise en place d’un protocole pour la production. Cette façon de présenter une nouvelle technologie rappelle plus la méthode des startups que celle des scientifiques, ce qui soulève quelques interrogations.
Si le simple terme de “supraconducteur” peut faire rêver les adeptes de la science-fiction, le LK-99 n’est pas le matériau qui permettra aux trains de léviter au-dessus de rails ou encore de permettre une recharge du téléphone une fois par mois. En tant que matériau non pur (ce n’est pas un bloc supraconducteur mais plutôt des petits points supraconducteurs dans le bloc), le LK-99 peut faire passer un courant faible, et donc peu d’énergie, même si c’est sans perte.
Si l'étude sud-coréenne est approuvée par des comités de lecture et des équipes de recherche dans plusieurs pays différents, alors on pourra commencer à parler du LK-99. En étant relativement facile à produire et en permettant une supraconductivité à température et pression ambiantes, nul doute que ce matériau aura plein de petites applications utiles, mais elle ne changera pas le stockage de l'énergie des batteries solaires par exemple. Mais ce ne sera en aucun cas le supraconducteur qui permet de récupérer les pertes d'électricité qui peuvent atteindre 20% selon les matières.
Le LK-99 est donc une potentielle avancée scientifique qui va dans le bon sens. Néanmoins, ce n’est pas la révolution, telle que prétendue par les auteurs de l’article et les industriels, ou pas encore, du moins. 😉