Logo Ekwateur

Bilan de la production et de l’exportation d'électricité en 2024 : les leçons à retenir

C’est une annonce de RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français) qui a fait grand bruit dans le secteur de l'énergie. Selon les dernières données publiées par l’entreprise, le 20 janvier 2025, la France a retrouvé une production électrique proche de l’avant-COVID. Une progression de plus de 8 % de la production par rapport à l’année 2023 et une énergie déclarée à 95 % décarbonée ! Pour encore enjoliver le tableau, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique atteint des records.

Alors, doit-on se réjouir ou se méfier de cette annonce ?

Attrapons nos plus belles loupes et, ensemble, enquêtons sur cette annonce🕵️


Une production en hausse

RTE a donc annoncé une production de 536,5 TWh en France pour l’année 2024, soit le plus haut niveau depuis 5 ans. Elle retrouve ainsi la moyenne de production annuelle atteinte entre 2014 et 2019 (537,5 TWh).

⬆️ C’est une augmentation de 8,45 % de la production par rapport à 2023 !

Plus encore, c’est le pourcentage d'électricité d'origine bas carbone qui fait parler puisqu’il atteint 95 % pour la première fois dans l’histoire du pays. 

Des exportations d'électricité record

En 2024, la France a exporté un total de 101,3 TWh d'électricité vers ses pays voisins, un véritable record puisqu’il s’agit, dans l’histoire du pays, du plus gros volume exporté en une année ! Elle a été exportatrice nette durant 98 % du temps de l’année, rien que ça !

Pendant un tiers du temps, la France exportait de l'électricité sur toutes les frontières de l'hexagone.

Cela s’explique notamment par l'augmentation des exportations vers la péninsule ibérique, l’axe Espagne - Portugal prenant une place prépondérante, allant même jusqu'à titiller le niveau d’importation d'électricité française par l’Allemagne et l’Italie.

La France, un carrefour électrique

Dans le même temps, elle a importé 12,3 TWh, principalement depuis l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique. Pas pour une consommation, pour faire transiter cette énergie. En effet, 97 % des importations ont été réexportées vers d'autres pays, c’est ce que l’on appelle les flux traversants. En plus d’être exportatrice d'électricité, la France est aussi un pays de transit.

Un solde net largement positif

Le solde net des échanges a atteint 89 TWh, un record depuis 2002. Une forte reprise des exportations, puisque l’année 2022 (ce n’est pas si lointain) s'était achevée avec un solde net négatif pour la France.

Des exportations vers quel pays ?

Selon l’analyse d’imports et d’exports de RTE, l’année 2024 a vu l’exportation de l'électricité française augmenter, notamment : 

🇮🇹 En Italie, 32 % des exportations

🇩🇪 En Allemagne, 18 % des exportations

🇧🇪 En Belgique, 15 % des exportations

D’autres pays, comme le Royaume-Uni ou encore le Portugal sont cités comme faisant partie des principaux acheteurs d'électricité française.

On parle ici d’exportations brutes. 

En termes d’exportations nettes par pays, les volumes sont les suivants : 

🇩🇪 Allemagne-Belgique : +27,2 TWh

🇮🇹 Italie : +22,3 TWh

🏴󠁧󠁢󠁥󠁮󠁧󠁿 Royaume-Uni : +20,1 TWh

🇨🇭Suisse : +16,7 TWh

🇪🇸 Espagne : +2,8 TWh

Comment alors l’Italie, qui est censée avoir importé 32 % du volume d’exportations de la France (donc un peu plus de 100 TWh) est à +22,3 TWh d'importations nettes et pas autour de +30 ?

Eh bien, comme la France, qui n’utilise que 3 % de ses importations d'électricité, une partie de cette électricité exportée vers l'Italie n'a pas nécessairement été consommée dans le pays. L'Italie, étant un point de transit clé, réexporte cette électricité vers d'autres pays, tout comme on le fait dans l’Hexagone. Les 22,3 TWh correspondent, eux, au volume « réellement » consommé par l’Italie en 2024.

Durant l’année 2024, la France a exporté dans toutes les situations de prix (élevés ou bas) et avec un solde mensuel assez élevé (la production en surplus qui peut donc être revendue) :

  • Entre janvier, avril et en décembre, le solde mensuel moyen était de 6,3 TWh
  • Entre mai et novembre, le solde mensuel moyen était de 8,2 TWh

Des exportations qui rapportent gros

💶 Les exportations ont généré un gain de 5 milliards d'euros en 2024, un autre record. Pour situer ce chiffre, les gains, depuis l’année 2000, oscillaient entre 1 et 3 milliards au maximum selon les années (avec 2022 qui était même en solde négatif pour la première fois depuis 1980, pas étonnant compte tenu des sujets de corrosion sous contrainte et de sécheresse).

Pourquoi cette progression de la production ?

Selon la RTE, cette progression est due à trois facteurs :

  • En passant de 279,0 TWh en 2022 à 361,7 TWh en 2024, la production nucléaire a permis de fournir plus d’énergie dite «bas carbone» ;
  • La production d'électricité d'origine hydraulique a explosé cette année, devenant une des années de production record, la meilleure depuis 2013 ! 74,7 TWh contre 49,6 TWh en 2022
  • Le développement des filières éolienne et solaire a porté ses fruits avec une production de 70 TWh pour ces énergies contre 46 TWh en 2019.

Une production bas carbone en hausse

La hausse record d'électricité bas carbone à 95 % est due à : 

  • L'augmentation de la production du nucléaire ;
  • L'augmentation de la production d'électricité issue des énergies renouvelables. Elle a en effet atteint 148 TWh soit 27,6 % de la production totale d'électricité. Un nouveau record !
  • Une diminution de la production d'origine fossile avec 19,9 TWh soit le niveau le plus faible depuis les années 50 !

⚡ En additionnant la hausse de la production nucléaire et celle issue des énergies renouvelables, la France a ainsi pu atteindre les 95 % de production d'électricité bas-carbone.

🤝 C’est l’alliance des deux qui a contribué à la décarbonation de la production électrique.

Une intensité carbone parmi les plus basses du monde

On parle d’intensité carbone pour mesurer la quantité de dioxyde de carbone émise pour produire une certaine quantité d'électricité.

On parle souvent de gCO₂eq/kWh. Cela veut dire que, pour la production d’un seul kWh d'électricité, le pays rejette environ tant de grammes d'équivalent CO₂.

Selon RTE, l’intensité carbone de la production d’électricité française a été de 21,3 gCO₂eq/kWh en 2024.

Pour un kWh produit, la France a donc rejeté 21,3 gCO₂eq/kWh (cela peut provenir d’autres gaz, c’est pour cela qu’on parle d'équivalent CO₂, le dioxyde de carbone étant le gaz à effet de serre de référence).

Ce nombre la classe parmi les pays dont l'intensité carbone est la plus faible au monde. Une sacrée progression puisque c’est près d’un tiers de l’intensité carbone qui a été supprimé entre 2023 (32 gCO₂eq/kWh) et 2024 (21,3 gCO₂eq/kWh).

Une part des énergies renouvelables en augmentation

Comme le rappelle l’article de 2020 relatif aux objectifs concernant les énergies renouvelables en France, les ambitions d’alors étaient d’atteindre «23 % de renouvelables» dans la consommation totale d’énergie sur notre territoire en 2020 et 32 % d’ici 2030.

🧑‍🏫 On parle là de la consommation totale de toutes les énergies, pas seulement de la consommation électrique.

Hors productions résiduelles, la répartition de la production électrique française en 2024 est la suivante :

  • Nucléaire : 361,7 TWh
  • Énergies renouvelables : 148 TWh
  • Énergies fossiles : 19,9 TWh

Répartition de la production électrique française en TWh hors productions résiduelles

Pourquoi faut-il relativiser ces résultats ?

Si l’on n’a pas envie de jouer les rabat-joie, surtout après une telle annonce, il est nécessaire de prendre du recul et de contextualiser dans un cadre plus global. Ce que font Thomas Veyrenc et Maïté Jaureguy-Naudin, respectivement Membre du directoire de RTE et Directeur général en charge de l’Économie, de la Stratégie et des Finances et Directrice en charge des Statistiques et de la Valorisation des Données.

Le « 60 % fossile » du mix énergétique total

L'électricité n’est qu’une partie de notre mix énergétique total. Et si sa production est à 95 % bas-carbone, le reste ne suit pas forcément. En effet, selon RTE, l’économie française dépend encore à 60 % des énergies fossiles et importées. Les transports, le chauffage ou encore l'industrie sont autant de secteurs qui continuent de consommer massivement des ressources fossiles. Pour Thomas Veyrenc, cette faible intensité carbone constitue un atout “pour la décarbonation de l’économie française au sens large”.

👋 Malgré cette année record, le coût des importations de combustibles fossiles a été plus élevé (plus de 64 milliards d’euros en 2024) comparé aux exportations d’électricité selon RTE. Un chiffre qui illustre bien le chemin qu’il reste à parcourir.

La dépendance au nucléaire

La grande part de la production électrique est assurée par le nucléaire. Et même si le Parlement européen a classé le nucléaire comme énergie verte fin 2023, que faire de nos 1,9 millions de m³ de déchets radioactifs français ? Ils sont stockés en surface ou entreposés temporairement en fonction de leur dangerosité, mais les sites de stockage approchant la saturation, on cherche de nouvelles solutions pour pouvoir les enfouir à 500 mètres sous terre... L’Agence nationale pour la gestion des Déchets RadioActifs vient d’ailleurs d’annoncer que les volumes de déchets ont grimpé de 60 000 m³ entre fin 2022 et 2023, donc en 1 an seulement. On vous laisse faire le calcul d’ici 2050 ? 

Par ailleurs, nucléaire rime parfois avec vert, mais jamais avec renouvelable… et l'uranium qui permet de faire fonctionner les centrales est une matière première en quantité limitée sur Terre, qui renforce par ailleurs notre dépendance face aux pays producteurs.

L’intermittence ou la variabilité des énergies renouvelables

Les énergies renouvelables n’émettent pas de déchets. En revanche, elles sont dites intermittentes. Cela signifie que leur production dépend de la météo. Concrètement, sans vent, l’éolien ne peut rien produire.

Quelles solutions pour pallier cette intermittence ou variabilité ?

Plusieurs solutions existent :

  • Le stockage : une technologie à parfaire et qui coûte encore cher à l’heure actuelle.
  • L’effet de foisonnement : la capacité que pourrait avoir la production d’énergie d’une zone (par exemple le Portugal) de compenser un excès ou un déficit de production dans une autre zone (par exemple la France). Cela est permis par les interconnexions.
  • Le changement de nos habitudes : et pas des moindres, ce dernier nous concerne toutes et tous, il s’agit par exemple de programmer les équipements du logement (machine à laver, lave-vaisselle…) pendant la journée, pour éviter les pics de consommation le soir, éteindre les appareils en veille en fin de journée, opter pour des ampoules LED…

Impact climatique du mix fossile restant

Si la production d'électricité avec des ressources fossiles est marginale aujourd'hui, elle peut augmenter lors de saisons particulièrement froides ou lors de fortes demandes d'électricité.

Un objectif encore loin d’être atteint

L'objectif de neutralité carbone de la France d’ici 2050 reste un défi loin d’être accompli.

Une production qui dépend aussi des aléas climatiques

Les énergies renouvelables dépendent grandement des conditions climatiques. En effet, plus une année est ensoleillée, plus les panneaux solaires pourront fournir de l'électricité. Plus le vent sera puissant et constant, plus les éoliennes pourront fonctionner. La production d'électricité d'origine hydraulique ayant été exceptionnelle en 2024, elle a aussi contribué à ces bons résultats, mais n'est pas acquise.

2024 a donc été un excellent millésime pour la production d'électricité en France. Si les efforts sont maintenus et que les conditions climatiques restent favorables à une amélioration, on peut alors espérer que les objectifs de neutralité carbone seront peut-être atteints !

Sources

https://www.rte-france.com/actualites/production-electricite-francaise-atteint-plus-haut-niveau-depuis-5-ans 

https://assets.rte-france.com/prod/public/2025-01/2025-01-20-chiffres-cles-production-electricite-francaise-2024.pdf 

https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-2023/emissions/ 

https://assets.rte-france.com/prod/public/2025-02/Bilan-electrique-2024-Fiche-echanges-vue-ensemble.pdf 

https://assets.rte-france.com/prod/public/2025-02/Bilan-electrique-2024-Fiche-echanges-analyse-imports-exports.pdf 

https://www.andra.fr/sites/default/files/2025-02/ANDRA_Inventaire%20national_Les_Essentiel_2025.pdf

​​https://www.conseil-etat.fr/actualites/stockage-de-dechets-radioactifs-le-conseil-d-etat-confirme-l-utilite-publique-du-projet-de-stockage-de-dechets-radioactifs-cigeo

Nos derniers articles de la catégorie

Voir plus d'articles