« Avec un grand pouvoir vient une grande responsabilité », dit l’oncle de Peter Parker, aussi connu sous le nom de Spider-Man. Cette phrase pourrait parfaitement illustrer le principe de pollueur-payeur. S’il est vrai que ce concept fait partie des principes généraux du droit environnemental français, c’est aussi probablement le plus connu. Pour autant, bien que cette règle soit claire, son adaptation au monde réel pose de véritables problèmes.
En effet, comme Spider-Man, les pollueurs se cachent souvent derrière des masques et des artifices. De son origine à son application moderne et aux difficultés qui en résultent, retraçons l’histoire du principe de pollueur-payeur en écartant les toiles d’araignée afin de mieux en saisir les véritables implications.
13 avril 2023
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D’abord adopté en 1972 en tant que principe économique visant à responsabiliser les acteurs économiques par l’OCDE (quand je vous parlais de toile d’araignée…), le principe du pollueur-payeur exige que les coûts économiques des mesures de lutte contre la pollution, de réduction de celle-ci ou encore de la prévention doivent impérativement être supportés par le pollueur.
La loi Barnier de 1995 a fait entrer ce principe dans le droit français en devenant l'un des quatre grands principes essentiels du droit de l'environnement français avec le principe de précaution, le principe de prévention et le principe de participation. Ces principes se retrouvent aujourd’hui dans le code de l’environnement. Plus que Spider-Man, on peut ici parler des quatre fantastiques pour rester dans le thème des super-héros 😉.
Avec ses acolytes en cycliste moulant coloré, le principe du pollueur-payeur doit donc être appliqué à toutes les politiques environnementales en Europe et en France. Avant même la création d’un projet d’ordre économique, il faut que le responsable de celui-ci en calcule le coût environnemental et qu’il soit apte à le payer. La responsabilité d’une pollution générée par tout projet incombe donc intégralement à ses créateurs-ices qui doivent l'assumer pleinement.
Si ce principe possède une valeur écologique, il a été créé par un économiste du nom d’Arthur Cecil Pigou (même si l’expression n’est pas de lui).
La réflexion de l’économiste britannique est assez simple et logique : la pollution engendre des coûts pour les collectivités qui ne sont pas forcément payés par les responsables de cette pollution. Ce déséquilibre crée un marché inégalitaire qui avantage les acteurs pollueurs de l'économie au détriment des autres. Pour l’économiste, le principe du pollueur-payeur est un moyen de rétablir “la vérité des prix”.
Plus encore, en forçant le pollueur à assumer les coûts de sa pollution, on garde un environnement plus sain tout en favorisant les produits moins polluants, orientant naturellement le marché vers une économie plus en accord avec le respect de la nature et de l'environnement . Avec un surcoût spécifique, le pollueur sera plus enclin à la réduction de la pollution de son entreprise dans les pays développés à même de surveiller les acteurs de l’économie.
L'empreinte carbone des voitures à essence étant élevée, elles sont plus taxées que les voitures électriques. À fortiori, une Ferrari possède aujourd'hui une taxe carbone élevée en raison de son fort taux de pollution lors de sa production aussi bien que lors de son utilisation et elle coûtera plus cher qu’une voiture aussi performante tout en étant moins polluante. La taxe carbone est ainsi un exemple type d’une taxe pigouvienne, du nom de l’économiste, soutenue par le principe du pollueur-payeur qui s’applique ici au constructeur comme à l'utilisateur.
Si le principe est simple et bénéfique en théorie, la pratique se révèle beaucoup plus compliquée. Il se heurte en effet à la réalité de son application, bien plus nuancée et complexe que sur le papier, comme toujours.
C’est sans doute pour cela que Spider-Man peut sauter de toit en toit sans jamais heurter un seul pigeon, sur le papier.
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Le rapport de la Cour des comptes européenne intitulé Principe du pollueur-payeur : une application incohérente dans les différentes politiques et actions environnementales de l'UE souligne plusieurs problèmes.
La première grande difficulté relative au respect de ce principe est la détermination de la responsabilité. Prenons par exemple un désherbant agricole : qui est responsable de la pollution émise par celui-ci ? Est-ce le fabricant ? Est-ce L’État qui rend légale l'utilisation de ce produit ? Ou encore est-ce l'agriculteur qui le déverse dans la terre ?
Autre exemple : qui est responsable de la pollution émise par la Ferrari ? L'entreprise constructrice ? Le conducteur ? Autant de questions qui ne trouvent pas vraiment de réponse.
Dans la pratique, la solution souvent envisagée est donc de désigner comme pollueur celui qui est le plus facile à atteindre économiquement et administrativement.
L'incapacité des autorités à évaluer avec exactitude le coût économique des dégradations environnementales permet aux pollueurs de se défendre plus facilement, notamment, pour les entreprises les plus puissantes, en ayant recours à des contre-expertises.
Le second problème majeur, lié au premier, réside dans la difficulté pour les pouvoirs publics d'identifier un responsable lors de catastrophes environnementales. Si déterminer une responsabilité sur une pratique n’est pas facile, cela devient encore plus compliqué lorsque les responsables tentent de se renvoyer la patate chaude face à des événements ponctuels comme des marées noires.
Face à ces difficultés, le rapport suggère de revoir à la baisse les volumes d'émission de CO₂ autorisés afin de pénaliser les entreprises qui veillent à ne pas trop polluer pour ne pas payer, tout en flirtant avec la limite. Il conseille aussi d’améliorer les critères utilisés pour définir les dommages environnementaux ou encore de renforcer la surveillance des aides, afin de ne pas subventionner le remboursement d’une pollution émise par l'entreprise, par exemple.
Malgré la clarté du rapport, personne ne sait encore si les solutions avancées pourront être appliquées dans le réel. Les grands pouvoirs n’impliquent donc pas forcément une grande responsabilité dans les faits, malgré la loi. Pourtant, aucun humain ne sait encore sauter de gratte-ciel en gratte-ciel pour échapper à la pollution. Une leçon dont Spider-Man n’a peut-être pas besoin, contrairement à nous. 😉