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Projet Hercule
Projet Hercule

Projet Hercule EDF : quel avenir pour le fournisseur d’énergie ?

En discussion depuis un certain temps entre EDF et la Commission européenne, ce projet viserait à diviser le fournisseur d'électricité historique d’électricité en trois entités bien distinctes. Est-ce que cela signe la fin d’EDF ? Non. Est-ce que cela signe la fin d’EDF tel qu’on le connaît ? La réponse est plus nuancée qu’un simple oui ou non. Attachez vos ceintures, nous vous emmenons au cœur de ce projet qui prend sa source à l’origine de l’ouverture du marché à la concurrence…


Nouveau rebondissement pour EDF : Hercule ne sera plus Hercule !

Fini l'appellation de demi-dieu donnée au projet d'EDF. Même si l'on ne connaît pas encore le nouveau nom de celui-ci, une note du gouvernement envoyée aux syndicats semble confirmer le fait que le "Hercule" a été abandonné. Alors, est-ce la seule partie de ce projet qui a été abandonnée ?

Un EDF 100% publique détenant 80% de la production d'électricité en France et non côté en bourse

Effectivement la note du gouvernement adressée aux syndicats expliquerait que : "ce projet consacrerait une détention par l’État à 100 % du parc nucléaire, thermique et hydraulique." Cette branche d'EDF possèderait également une filiale 100% publique en charge des barrages d'EDF.

Par ailleurs, le statut particulier des salariés d'EDF devrait être conservé ainsi que la mobilité entre les différentes filiales.

La nouvelle branche d'EDF : Énergies Nouvelles et Réseaux

Cependant, cette affirmation ne semble concerner qu'une partie d'EDF. En effet, il est question d'une autre filiale d'EDF détenant la vente d'électricité, les énergies renouvelables, le réseau de distribution Enedis et les services.

Cette entité serait en partie privatisée et cette privatisation inquiète les syndicats qui y voient là un premier pas vers une privatisation de certaines activités du groupe. Néanmoins, la note du gouvernement semble formelle : "des garanties légales seront données sur le maintien de cette filiale dans le secteur public" et "cette entité restera intégrée (…) au sein du groupe EDF".

EDF Énergies Nouvelles et Réseau, comme elle est appelée pour le moment, resterait "très majoritairement détenue par EDF SA" et "intégrée sur les plans humain, stratégique, financier, comptable et juridique au sein du Groupe EDF".

EDF non autorisé à augmenter le capital de sa propre filiale Énergies Nouvelles et Réseau

En effet, cette intégration ou plutôt son degré d'intégration au groupe EDF pose question à Bruxelles qui souhaiterait que ses activités soient strictement séparées des activités bénéficiant de subventions publiques. "Sous réserve de l'accord de la Commission européenne, EDF SA serait autorisée à souscrire à des opérations en capital d'EDF Énergies Nouvelles et Réseau, à condition de ne pas utiliser l'aide financière perçue au titre de la régulation depuis sa mise en place" avancerait néanmoins le gouvernement en espérant ainsi permettre à EDF SA de pouvoir participer à des augmentations de capital de sa propre filière. En effet, si Bruxelles refuse cette clause, EDF SA n'aurait ainsi aucun contrôle réel sur sa filiale Énergies Nouvelles et Réseau et se contenterait d'être une simple holding pour elle.

À plus grande échelle, cela interdirait donc à EDF d'investir massivement dans les énergies renouvelables pour rattraper son retard vis-à-vis de ses concurrents et rendrait donc sa réorganisation beaucoup moins intéressante et attractive.

Perpétrer l'utilisation du nucléaire

En revanche, une telle restructuration "donnerait à EDF la visibilité permettant de réaliser son programme d’investissements dans le parc, pour que la France puisse continuer à disposer de cette électricité décarbonée", rapporterait le texte. EDF pourrait ainsi prolonger la durée de vie du parc nucléaire et démarrer la construction de nouveaux réacteurs.

Afin d'éviter une opposition trop forte, le gouvernement affirmerait dans sa note qu'il fera preuve de transparence et laissera la place ouverte au débat. "La négociation avec la Commission (…) ne préemptera pas un débat au Parlement sur l’avenir d’EDF", exposerait le texte.

La réorganisation du groupe serait également soumise aux instances de représentations du personnel, une démarche inévitable. La seule véritable nouveauté par rapport aux annonces précédentes est la possibilité pour les salariés de choisir le nom des filiales respectivement Énergies Nouvelles et Réseau ainsi que la filiale Hydroélectrique. Les syndicats d'EDF ne semblent pas convaincus par ses nouveautés et espèrent de plus amples concessions à l'avenir. Parallèlement, la négociation à Bruxelles n’est pas terminée, alors que les présidentielles se rapprochent...

Un déclin d'EDF inévitable ?

"Si rien n'est fait, le déclin du groupe EDF est inexorable, au détriment de l'ensemble de la collectivité nationale comme des salariés du groupe", avertirait le gouvernement, qui souhaite convaincre les syndicats récalcitrants de l'aider dans son bras de fer avec Bruxelles. Il assurerait également dans sa note que "le projet porté par le Gouvernement assurerait la pérennisation de l'ensemble des missions de service public d'EDF et le statut d'entreprise publique de l'ensemble de ses activités". Des réunions entre le gouvernement et chacun des syndicats représentatifs du personnel d'EDF devraient être organisées dans les semaines à venir.

Projet hercule d’EDF : une histoire qui dure

Pour bien comprendre la genèse du projet Hercule, il est essentiel de faire un récapitulatif de l’histoire du marché de l’énergie.

L’avènement du marché européen de l’énergie

C’est en 1986 que l’Union européenne décide de se lancer dans la construction d’un marché unique européen de l’énergie. Des directives voient donc le jour en 1996 pour le marché intérieur de l’électricité et en 1998 pour le marché intérieur du gaz naturel afin de mettre fin au monopole des deux fournisseurs d’énergie historique (EDF et Engie). Ces directives s’appliquent dès 1999 pour les professionnels puis en 2007 pour les particuliers qui sont, dès lors, libres de choisir leur fournisseur d’énergie (libéré-e, délivré-e ! ça y est, vous l’avez dans la tête ? 😉).

RTE et Enedis : des filiales d’EDF totalement indépendantes

Et ce n’est pas tout, la Commission européenne exige également que les activités de transport et de distribution d’électricité soient totalement indépendantes des activités de production et de vente (fourniture) d’énergie.

C’est ainsi que RTE (chargé du transport de l’électricité) voit le jour en 2000 et Enedis ou anciennement ERDF (en charge de la distribution de l’électricité) est créée en 2008. Ces deux entités sont certes des filiales d’EDF, cependant, elles sont totalement indépendantes.

La création de l’ARENH pour une concurrence plus équitable

Malgré cette ouverture, la France décide de garder des Tarifs Réglementés de Vente (TRV) qui imposent à EDF de proposer à ses clients un prix régulé, calculé pour éviter qu’il ne se fasse une marge trop élevée par rapport au coût réel de production du parc nucléaire historique.

Alors, en 2010, pour permettre aux client-e-s des fournisseurs d’électricité alternatifs d’avoir les mêmes prix compétitifs que les client-e-s au tarif bleu d’EDF, l’administration française crée le mécanisme ARENH. Celui-ci octroie un droit d’ARENH à chaque consommateur, qui oblige EDF à vendre au prix de 42€ du MWh, un volume d’énergie défini règlementairement. Pourquoi ? Car il ne faut pas oublier que le parc nucléaire français, dont a hérité EDF, a été construit du temps du monopole intégré et a déjà été amorti par les citoyen-ne-s via leurs factures d’énergie de l’époque. Et puis n’oublions pas que tous-tes les citoyen-ne-s subissent le risque nucléaire, qu’iels soient ou non client-e-s d’EDF 😊. Leur en refuser le bénéfice semblait donc difficile.

Enfin, EDF étant pleinement intégré de la production à la vente d’énergie, détenant la totalité des installations nucléaires (et la majorité des autres installations de production), sans ce dispositif, une libre concurrence n’aurait jamais pu exister.

Quid des concessions hydroélectriques d’EDF déjà payées par les Français-es ?

La quasi-totalité des concessions hydroélectriques en France ont été amorties et sont aujourd’hui exploitées par EDF en contrepartie du paiement d’une redevance à l’État (c’est le principe du régime des concessions). La Commission européenne a déjà envoyé deux mises en demeure à la France en 2015 puis en 2019 pour demander l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques amorties (16 des 300 détenues par EDF). Néanmoins, l’État français a refusé. C’est pourquoi, aujourd’hui, Bruxelles demande des comptes.

Le projet Hercule d’EDF : Hercule… comme le fils de Jupiter ?

Désolé mais non. On ne parlera pas ici du fils de Jupiter. Néanmoins, le « Hercule d’EDF » mérite tout autant notre attention que le Hercule de la mythologie 😉.

Projet Hercule : une séparation déchirante

Si Hercule venait à voir le jour il n’y aurait plus une mais 3 entités distinctes d’EDF :

EDF Bleu : l’entité dédiée aux activités nucléaires et à la gestion du réseau de transport d’électricité via le gestionnaire RTE. Cette branche appartiendrait à 100% à l’État et deviendrait donc à nouveau publique.

EDF Vert : l’entité dédiée aux activités de fournisseur d’électricité (activités commerciales), au réseau de distribution via Enedis ainsi qu’aux énergies renouvelables. Cette entité serait ouverte aux capitaux privés tout en restant sous l’égide de l’État qui la détiendrait à 65%.

EDF Azur : il s’agirait de la branche qui s’occuperait des activités hydrauliques et notamment des barrages. Cette branche serait également publique et détenue à 100% par l’État.

Projet Hercule : un impact sur l’ARENH et les TRV

Dans le cas d’EDF, cette réforme pousserait EDF Bleu ou la branche d’EDF en charge de la production, à vendre la totalité de l’énergie produite à un prix régulé à tous les acteurs de manière égalitaire. Aujourd’hui, la vente est au maximum de 100 TWh (environ 25%) à destination des client-e-s des fournisseurs d’électricité alternatifs via le mécanisme ARENH. Le reste étant réservé à EDF quelles que soient les parts de marchés de chacun. Avec Hercule, ce protectionnisme disparaitrait.

En contrepartie, EDF demande à revoir le prix et les conditions de vente de l’ARENH mis à disposition. En effet, EDF estime que le prix de 42 €/MWh est trop bas, et que les fournisseurs d’électricité n’ont jamais été obligés de s’approvisionner à l’ARENH, ils ont le choix. EDF est donc susceptible de se retrouver avec de l’énergie produite vendue à perte, et estime que cette situation ne permet pas de financer son parc nucléaire dans la durée.

Ce point du projet Hercule répondrait également à une demande que la CRE et les fournisseurs concurrents d’EDF expriment depuis longtemps. En effet, le plafond des 100 TWh prévu dans le dispositif ARENH est depuis 3 années dépassé systématiquement. Ce plafonnement augmente artificiellement le prix du tarif bleu d’EDF (dont le calcul en dépend en partie) ainsi que les coûts d’approvisionnement des fournisseurs d’électricité alternatifs, pour le seul bénéfice d’EDF.

L’augmentation du prix de l’ARENH, si elle est décidée, sera répercutée dans les factures des Français-es via les Tarifs Règlementés de Vente (tarif bleu d’EDF) fixés par la CRE et les offres des fournisseurs alternatifs qui répercuteront la hausse de leur coût d’approvisionnement.

En résumé, le coût de la production nucléaire coute plus cher que ce que l’on a bien voulu nous faire croire et il est temps de remédier à cela si l’on veut éviter de voir les difficultés financières d’EDF s’accroitre.

Pourquoi avoir choisi de développer le projet Hercule d’EDF ?

Projet Hercule : une décision de l’État

Premièrement, il faut savoir que c’est l’État qui est à l’origine de ce projet. Les pouvoirs publics auraient ensuite demandé au PDG d’EDF de concevoir le projet baptisé plus tard : Hercule. L’État souhaitait qu’EDF devienne un acteur plus impliqué dans la transition énergétique qu’il ne l’est aujourd’hui. Il faut dire qu’à priori, un monopole mature n’a pas d’intérêt à une transition. Pour cette raison, remanier son organisation a un sens.

La protection du principe de libre concurrence

Le principe de libre concurrence joue un rôle important. En effet, le gouvernement veut créer des conditions propices à la concurrence dans le marché de la fourniture d’énergie. Une séparation stricte pourrait donc voir le jour entre les activités régulées d’EDF (la vente d’énergie nucléaire soumise à l’ARENH, et d’énergie hydraulique via le régime des concessions) et ses autres métiers. Des structures juridiques et comptables propres pourraient être mises en place afin de garantir l’indépendance des différentes branches.

EDF et la transition énergétique

Les conditions d’endettement actuelles d’EDF et le poids des investissements dans le domaine nucléaire lui permettent difficilement d’impulser des initiatives en faveur de la transition énergétique. Par exemple, à la mi-2020, la France comptait une puissance d’éolien et de solaire de 25 GW installée au total. Sur cette puissance installée, la part de marché d’EDF est de seulement 2 GW. Cela illustre bien la difficulté que présente EDF à s’insérer dans de nouveaux projets de développement des énergies éoliennes et solaires.

À cela s’ajoutent les paroles du PDG d’EDF expliquant qu’une nouvelle organisation permettrait à celui-ci de mieux jouer son rôle d’investisseur au sein de la transition énergétique et pour le pouvoir d’achat des ménages et entreprises.

Une dette conséquente à éponger

C’est un fait, EDF est endettée. Cette dette de 41 milliards d’euros environ, est liée au financement du « grand carénage » (la rénovation et la modernisation des centrales nucléaires historiques) ainsi qu’à des investissements conséquents sur des EPR (des réacteurs nucléaires de nouvelle génération à eau pressurisée) en France (Flamanville 3) et à l’étranger (Hinkley Point, Taishan).

Modifier ainsi EDF permettrait :

  • D’une part, d’offrir au nouveau nucléaire la possibilité d’être financé comme comme le nucléaire existant l’a été, dans la mesure où toute la production d’EDF Bleu deviendrait un bien commun à prix régulé, avec peut-être même un achat obligatoire pour tous les fournisseurs.
  • D’autre part, cela pourrait permettre à EDF Vert (branche chargée du renouvelable) de bénéficier de fonds pour développer de nouveaux projets notamment renouvelables.

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Projet Hercule d’EDF : une belle performance de patinage (artistique) ?

Avant de faire évoluer Hercule, l’État souhaite d’abord revoir le mécanisme de l’ARENH. Il prévoit d’augmenter le prix de l’approvisionnement à l’ARENH pour tous les fournisseurs et potentiellement de le rendre obligatoire. La CRE évalue aujourd’hui le coût juste à 48€ le MWh. Ces modifications se répercuteront directement sur les TRV, les offres des fournisseurs alternatifs et, in fine, la facture des Français-es. Cela fait donc l’objet de nombreux débats.

Projet Hercule le financement du nouveau nucléaire en sous-marin ?

L’intégration du nouveau nucléaire à un mécanisme de régulation fait également débat. En effet, les coûts de développement du nouveau nucléaire sont très élevés : même s’il s’agit d’une tête de série, le coût de production du projet Flamanville 3 est évalué par la Cour des comptes à 110-120 €/MWh, soit 3 fois plus que les derniers projets de centrales solaires au sol (même 6 fois plus que celles construites récemment en Espagne ou au Portugal !)… Intégrer cette énergie à la régulation du parc nucléaire historique pose question, d’autant plus que son choix de développement ne date pas de l’époque où EDF était un monopole d’État.

L’enjeu ne se limite pas à Flamanville 3, puisque le gouvernement parle de développer 5 nouveaux EPR supplémentaires. Si les conditions d’accès à l’énergie nucléaire se font sous la forme d’une obligation pesant sur tous les fournisseurs d’électricité, l’intégration du nouveau nucléaire au périmètre sera, de fait, une (lourde) taxe visant à financer ces projets pour une durée très longue (la durée de vie prévue pour les EPR est de 60 ans).

Projet Hercule : un refus catégorique des syndicats

Ce projet fait l’objet de beaucoup de critiques par les syndicats d’EDF et plusieurs jours de grève en signe de protestation ont déjà eu lieu (la dernière, très suivie, date du 19 janvier). En effet, ils estiment que l’entreprise intégrée qui fonctionne aujourd’hui comme un tout serait « dépecée ». Ce point est l’une des raisons de refus de la part des syndicats et des salarié-e-s qui demandent le retrait pur et simple du projet Hercule.

Un calendrier difficile et une marge de manœuvre réduite pour mener à bien Hercule

Les négociations patinent actuellement à Bruxelles. Pour autant, le gouvernement continue de défendre Hercule. Le calendrier est difficile car ce projet doit être acté avant les présidentielles de 2022, sinon, il sera beaucoup plus complexe de mettre en place Hercule. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie affirme qu’EDF « va dans le mur si l’entreprise ne se transforme pas ».

 

Est-ce que Hercule verra le jour ou non ? Pour l’instant difficile de le savoir. Ce qui est sûr en revanche c’est qu’une refonte d’EDF est nécessaire afin de remettre sur les rails l’entreprise en difficulté tout en garantissant des conditions d’accès équitables pour les fournisseurs concurrents d’EDF aux énergies nucléaires historique et hydraulique auxquelles EDF a eu accès en tant que monopole intégré.

On espère avoir pu vous éclairer (en même temps, c’est notre métier 😉) un peu plus sur ce projet Hercule plutôt complexe et qui provoquerait d’importants changements au sein d’EDF. Espérons surtout qu’une nouvelle organisation d’EDF permettra à celui-ci de jouer enfin un rôle à sa mesure dans la transition énergétique.

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